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"La mélopée de l'ail paradisiaque" de Mo Yan

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"La mélopée de l'ail paradisiaque" de Mo Yan.

 

"À côté de la table où ils prenaient leurs repas, Xinghua, sa fille de huit ans, atteinte de cécité complète, était assise, hébétée. Ses yeux lumineux grands ouverts étaient si noirs qu'on aurait dit de l'encre. Elle restait là, plantée comme une souche. Il traversa la cour."

Ce roman débute par des instants de vie personnelle avant de raconter, au travers des individualités, l'histoire d'un peuple poussé à bout par les représentants du gouvernement.

Dans le premier chapitre du roman, on suit l'arrestation brutale de Gao Yang, un chef de famille et père de deux enfants, un nouveau-né et Xinghua sa fille aveugle de huit ans. C'est Gao Jinjiao responsable du village qui a mené les gendarmes jusqu'à lui. Tout de suite après, on verra comment Gao Ma, lui aussi en état d'arrestation, tentera de s'enfuir. Ce dernier devient alors le personnage central du récit, et dans le chapitre suivant on découvrira son amour pour Jinju, une fille pourtant promise à un autre dans l'intérêt de plusieurs familles.

Ainsi le point de vue alterne, au fil des chapitres, entre l'histoire de Gao Yang et celle de Gao Ma.

Tout au long du récit, l'écrivain nous dévoile une intrigue à la fois politique et amoureuse impliquant les habitants de Tiantang dont la ressource unique est la plantation de l'ail. Jonglant entre passé et présent, amours contrariées et politique intransigeante, ce roman est aussi intense que foisonnant.

"Il se demanda si la tante n'était pas morte. Mais comme il s'en inquiétait, il vit le crâne se redresser péniblement. La tête grisonnante semblait trop lourde pour le cou maigre. Ainsi mouillées, ses cheveux paraissaient encore plus rares. Il se dit que la calvitie allait vraiment mal aux femmes."

Les personnages sont tous truculents. Que ce soit Gao Yang, qui dès le départ ne cesse de se répéter qu'il ne pleure pas alors que les larmes inondent ses joues, ou Gao Ma l'opiniâtre amoureux, ou encore la Tante Fang acariâtre et soupe au lait, chacun d'eux possède un caractère bien tranché. Mais cela n'empêchera pas le lecteur d'entrer en empathie avec eux.

Au cours de son séjour en prison - lors du septième chapitre qui aurait pu s'appeler "le voleur, l'incestueux et l'assassin" - Gao Yang fera la connaissance d'autres détenus, aussi loufoques que répugnants. Ces derniers nous permettront de découvrir les délicates conditions de détention des prisonniers chinois.

Le roman, sans s'apitoyer, recèle parfois d'une profonde tristesse, comme avec la touchante histoire d'urine de Gao Yang, ou le passage de la tante Fang avec les poux, à la fois surprenant, misérable et poignant.

"La mère s'entêtait : C'est quand même pas une chose à faire...

- Allons, par les temps qui courent, qui ne triche pas ? Celui qui ne triche pas est un imbécile. L'État triche lui aussi, alors pourquoi pas nous, simples cultivateurs ?"

L'histoire se déroule en 1987, alors que Gao Yang a 40 ans, pourtant cette Chine agricole semble d'un âge beaucoup plus ancien pour le lecteur européen. On y apprend que la loi interdit depuis peu d'insulter ou de frapper autrui, ce qui n'était pas le cas auparavant. Ainsi l'écrivain nous montre comment la loi est considérée et difficilement acceptée par la population, tandis que la peine de mort est toujours en vigueur. On apprend également que les districts interdisent l'inhumation et obligent les habitants à incinérer leurs proches. Tout comme le fait que les représentants du gouvernements sont plus ou moins intouchables.

Mais devant l'arrière plan politique et dénonciateur, se trouve un récit riche en rebondissements, énergique et captivant, plein de cris et de sang. Et tout comme dans "Le Chantier", son précédent roman, Mo Yan a des fulgurances surréalistes et se révèle un adepte de la prosopopée : après le chien qui parle, découvrez le foetus qui parle, au creux même du ventre de Jinju.

"L'énorme soleil rouge, réduit de moitié, sombrait au milieu des chuchotements. À l'ouest, le ciel s'était empli de nuages crépusculaires qui s'épanouissaient d'un coup comme de vigoureuses fleurs. Il n'avait pas le cœur à jouir du fantastique spectacle, tout occupé qu'il était à chercher le puits..."

La tournure des évènements devient dramatique, et le malheur s'abat sur les protagonistes, pourtant peu sont ceux qui cessent de lutter. Le combat pour la vie et la justice semble d'ailleurs plus que jamais habiter l'œuvre de Mo Yan. Un écrivain dont la vivacité de l'écriture surprend et émerveille.

Malgré ses propos récent - Mo Yan ne peut pas se permettre de clamer ses idées libertaires dans son pays sans risquer gros - l'écrivain règle ses comptes, au travers du personnage du jeune officier notamment, avec la République populaire de Chine et les injustices causées par certains fonctionnaires membres du Parti. Véritable réquisitoire contre les abus qui ont poussé le peuple à s'insurger, la fin du roman est brillante. Et le lecteur qui connait désormais les circonstances du pillage du bâtiment administratif ne pourra rester insensible au jugement.

Engagé, divertissant et instructif, "La mélopée de l'ail paradisiaque" est à ne pas rater !

R.P.



20/02/2014
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