Contre-critique

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"Charivari" de K. Machida

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"Charivari" de Ko Machida.

 

"J'ai dévisagé de nouveau Tomiko : un boudin. Connasséboudin. Ce qu'elle a pour elle, à la rigueur, son argent. Son pedigree le disait d'ailleurs, et à en juger par ce qu'elle a sur le dos et ce qui la décore, il ne fait pas de doute que ses géniteurs sont passablement fortunés."

Le narrateur et héros de ce court roman - 125 pages - nous dévoile ses pensées et ses pérégrinations fantasques au sein d'un Tokyo tumultueux. Sa famille a de l'argent pourtant lui semble hors cadre. Il refuse parfois bêtement l'aide qu'on lui propose et ne se satisfait pas de ses choix personnels. Ainsi il refuse le mariage arrangé avec Tomiko et se choisit Satoe, rencontrée dans un pub, alors qu'il dénigre cette dernière depuis le départ du roman. D'ailleurs l'insatisfaction cohabite perpétuellement avec le héros. Et la contradiction le poursuit tout au long de ses aventures.

"Seulement, compte tenu du lieu et des circonstances, vu aussi que ces paroles n'étaient pas sorties de leurs bouches mais que c'était simplement ce que je lisais dans leurs regards, je n'ai rien eu à leur opposer, je me suis contenté de rester silencieux, les yeux baissés..."

Entre réalité et fantasme, le lecteur sera constamment télescopé, sans parvenir à distinguer nettement l'un de l'autre. Car le héros passe de sa propre imagination aux faits avérés sans transition. Déstabilisant mais jouissif, cette technique permet à Ko Machida d'anticiper les rencontres de son personnage - avatar de lui-même ? - d'en inventer les échanges verbaux avant de le confronter - tout comme le lecteur - à la réalité qui s'ensuit. Ainsi l'obole demandée par le héros à son ancien ami devenu artiste se révèle drôle à souhait, surtout quand le lecteur perçoit la différence énorme qui existe entre la volonté d'acier du héros et la veule soumission dont il fait preuve ensuite.

"Quant à la façon dont je vais résoudre la question de l'humiliation, rien de moins compliqué : je lui fais mon plus beau sourire niais, obséquieux, servile courbette reptilienne, l'air du misérable, du miséreux, je lui donne du maître et tutti quanti et j'y vais de ma demande."

Le ton parfois détaché du narrateur surprend car il semble en marge du reste du monde. Ainsi la mort de son ami un soir d'ivresse devient anecdotique, tel l'accident bête qui n'aura pas d'incidence par la suite. D'un autre côté la jalousie qu'il développe à l'égard de son ami artiste Yoshihara prouve qu'il n'est pas impassible. Il va d'ailleurs se mettre dans tous ses états et perdre ses moyens face à la réussite de l'autre et l'échec de lui-même.

Inconstant, d'un onirisme trouble et jubilatoire, "Charivari" - récompensé du prix Akutagawa - est un jeu de piste du quotidien et des sentiments qui révèle cet auteur et donne envie d'en lire davantage. Alors ruez-vous sur "Tribulations avec mon singe".

R.P.



22/05/2014
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