Contre-critique

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"La Danseuse d'Izu" de Y. Kawabata

 

"La Danseuse d'Izu" de Yasunari Kawabata.

 

"La danseuse, rougissante, nous monta du thé du rez-de-chaussée, mais sa main tremblait si fort que la tasse faillit tomber. Elle la posa sur le tatami pour éviter de la renverser, sans empêcher un peu de liquide de déborder. Je restai décontenancé par cette excessive timidité."

La première nouvelle éponyme de ce recueil, nous raconte le voyage automnal d'un lycéen de 20 ans qui parcourt, à pied, la péninsule d'Izu dans l'espoir de suivre des forains. Parmi ces derniers, une jeune danseuse dont le charme l'ensorcelle. Kawabata, le maître japonais de la littérature, nous dévoile, comme à son habitude, une écriture harmonieuse et subtile. Les sentiments y sont forts et sincères mais demeurent ancrés au fond de cœurs pudiques. Point d'effusion chez Kawabata, mais un trouble sous-jacent qui arrive à toucher le lecteur. Simple et efficace, cette première nouvelle nous donne fortement envie de lire la suite.

"Le sentiment de l'analogie du destin des plantes et de celui des hommes, voilà le thème éternel de toute élégie..."

Dans la seconde nouvelle, Tatsue, la narratrice, s'interroge sur l'élégie, et à traves elle, sur le sens d'une coutume japonaise consistant à invoquer les morts. Depuis toute petite, Tatsue possède des dispositions exceptionnelles, une sorte de sixième sens qui lui permettra par la suite d'anticiper les évènements à venir. C'est ainsi qu'elle a pu sauver un membre de sa famille, et recevoir une vision. Par cette nouvelle de 1932, Kawabata nous fait découvrir les croyances de l'extrême-orient et nous interroge sur le sens de l'âme humaine.

"Je dois reconnaître que, même en Orient, un Confucius rejette l'au-delà, disant : "J'ignore tout de la vie, que saurais-je de la mort ?" - mais moi, je trouve dans les visions du monde antérieur et du monde à venir que nous propose le bouddhisme, le plus vibrant, le plus consolant des poèmes élégiaques."

Avec sa simplicité qui le caractérise et l'honore, l'auteur pousse la réflexion avec justesse et sagesse, en restant constamment en harmonie avec la nature, et interroge les tréfonds de l'esprit humain avec beauté.

 "Les oiseaux dormaient l'un contre l'autre, têtes et plumes emmêlées, attendrissants, fondus sans que l'œil puisse les distinguer, en une boule d'aspect laineux. Lui, le célibataire frisant la quarantaine, sentit une émotion, une sorte de nostalgie l'étreindre."

Dans "Bestiaire", le héros se passionne pour les animaux au détriment des humains. Ce quarantenaire qui vit avec une multitude d'oiseaux n'a pas voulu, ou n'a pas réussi, à entretenir de relation durable avec une personne et il noie sa solitude dans la présence constante d'animaux. Mais derrière son attachement envers ses petites bêtes, on découvre bientôt le désir morbide de cette homme qui fréquenta par le passé la danseuse Chikako. Complexe et profonde, cette histoire bouscule le lecteur de par son aspect désespéré et son obsession de la mort racontés avec douceur et subtilité.

"Qu'il ait pu s'en séparer, rompre un lien malheureux, devait s'expliquer par la violence des temps. La responsabilité morale, tissée par ces petits riens qui existent entre un homme et une femme, avait sans doute été balayée par le torrent furieux de la guerre."

Une rencontre imprévue au sanctuaire d'Hachiman de Tokyo, entre le narrateur Yuzo et son ancienne amante Fujiko, sur fond d'après guerre, tel est le sujet de "Retrouvailles". Une nouvelle dans laquelle le héros va converser avec son ancienne conquête, plus jeune que lui, dans le besoin, et qui n'est pas retournée dans sa province malgré une ville défigurée par la guerre. Yuzo se demande s'il doit renouer avec elle, sachant qu'il est marié et que Fujiko connait sa femme.

"La jeune femme s'émerveillait de la richesse, de l'immensité du monde reflété dans ce qu'elle avait considéré jusqu'alors comme un simple objet de toilette pratique pour se coiffer la nuque et qui avait ouvert à l'invalide cette vie nouvelle."

Pour le cinquième texte "La lune dans l'eau", Kyoko, une femme remariée, se rappelle les derniers moments de son premier mari, tuberculeux, à qui elle avait confié son miroir à main. Ce dernier pouvait ainsi continuer à visionner un monde auquel il n'avait plus accès du fait de son état. Kyoko s'interroge sur le bien fondé de son acte et sur la condition humaine.

Tous ces courts récits, variés, traduisent autant le désespoir que la quête de bonheur que l'on retrouve tout au long de la carrière de Kawabata. Ils sont plaisants à lire, cependant, moins efficaces que ces romans. "La danseuse d'Izu" permettra donc de découvrir l'univers du célèbre écrivain, mais pour en apprécier pleinement l'écriture, privilégiez ses romans, tels "Pays de neige", "Tristesse et beauté" ou "Kyôto".

R.P.



06/02/2013
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