Contre-critique

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"Le Temps gagné" de R. Enthoven

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"Le temps gagné" de Raphaël Enthoven.

 

"Les couples qui s'engueulent n'inventent rien. Leurs répliques sont toutes préécrites dans le grand livre de l'humanité mécontente qui interprète, en variant le ton, la même partition depuis que des humains commettent l'erreur de vivre sous le même toit."

Avec cynisme, l'auteur Raphaël Enthoven nous raconte d'abord son enfance et sa position par rapport aux autres, que ce soit avec son beau-père, les membres de sa famille ou encore ses professeurs, puis, dans une deuxième moitié plus petite, sa vie d'adulte. Son style le rapproche des écrivains au pessimisme déluré, façon Michel Houellebecq, mais sans l'aspect politique. Quant à son écriture, elle fluctue entre longues phrases à l'imparfait du subjonctif et sentences sèches et vulgaires, avec toujours, en toile de fond, un leitmotiv à l'encontre de Jacques Lacan, ce qui décontenance et amuse à la fois.

"Je retins un cri. Chloé venait de m'écraser le petit orteil. À son insu. Ce que j'avais pris pour son pied n'était que le pied de sa chaise qu'elle aimait, en gauchère, à incliner de temps en temps. Depuis une demi-heure, je bandais sur un pied de chaise."

Érigé en une succession de courts paragraphes parfois disparates, le roman se lit avec facilité. Cependant, il navigue entre deux eaux. Tantôt cocasses ou édifiantes, tantôt alambiquées et rébarbatives, les pages de ce premier roman se succèdent et ne se ressemblent pas, si ce n'est dans leur structure générale. Sans compter que la chronologie apparaît arbitraire et que notre narrateur semble naviguer entre 12 et 16 ans au fil des chapitres, sans parler des retours à l'âge adulte. Mais cet état de faits, qui dévalue le travail de l'auteur sur les trois quarts du livre, ne saurait lui ôter ses deux principaux atouts, à savoir le mérite d'assumer des comportements déviants - quitte a passer pour un con - et la fougue de faire de la philosophie avec des figures symboliques de la culture populaire, tels Rocky Balboa ou Les Chevaliers du Zodiaque. Cette rencontre inopinée d'un domaine littéraire élitiste et de quelques divertissements fictionnels sans intérêt majeur, donne lieu à des réflexions inattendues, ce qui est suffisamment déroutant pour être souligné.

"Certains peinent à traduire leurs pensées. D'autres échouent à représenter ce qu'ils voient. J'appartiens à la seconde catégorie. L'idée de peindre me semble contre-nature. La figuration me semble une telle performance que l'idée d'y renoncer me paraît aberrante, et l'abstraction me paraît une telle facilité que l'idée d'y céder me semble une escroquerie."

Malheureusement, le travail des Éditions de l'Observatoire n'est pas à la hauteur de nos attentes. En effet, de nombreuses erreurs viennent parasiter le texte, et les fautes de frappes ou autres coquilles se révèlent trop nombreuses. En effet, des erreurs peuvent parfois survenir dans un texte, même après un travail de relecture, mais là c'est trop. Par exemple, à seulement quatre pages d'intervalle, entre la 191 et la 195, on peut noter deux erreurs pourtant trop visibles pour être ignorées : "... dissidents invicibles." et "... qui découvre qu'elle est n'est que le rêve...". Et il y en a d'autres dans la même veine, ce qui laisse vraiment à désirer, comme par exemple la phrase qui lie les page 485 et 486 : "il m'accompagna jusqu'à la porte - ce qui moins trente secondes." À se demander s'il y a eu un travail de relecture vraiment sérieux. D'ailleurs, à force de gagner du temps, l'auteur ne semble même pas s'être relu. On peut ainsi légitimement s'interroger sur la véracité du passage dans lequel il accuse un tiers d'avoir commis une faute dans son tout premier article, publié dans le Magazine littéraire, car ne serait-ce pas Enthoven lui-même qui se trompât en écrivant "coryza" au lieu de "choléra" ?

On peut également avoir du mal à digérer le fait qu'on lise en entier le livre d'un auteur qui nous explique que lui-même ne lit pas les ouvrages dans leur totalité, et qu'en plus, même si cela est dit avec humour, il déteste certains auteurs sans même les avoir lus :

"... ce qui me fit à peu près le même effet que la mort de Levinas, dont je détestais les livres (que, pour cette raison, je n'avais jamais lus) et dont j'avais appris, à cette occasion, qu'il était encore vivant."

Heureusement, une fois adulte, dans le dernier quart du bouquin, on s'amuse à le suivre dans sa romance avec la dénommée Béatrice, l'ex-copine de son père, alors qu'il est marié avec Faustine - qu'il n'a jamais aimé et qu'il trompe allègrement (à ce sujet, Enthoven raconte une anecdote totalement scatologique et inutile pour le roman, à croire qu'il ne cherche qu'à humilier ladite Faustine). On apprendra également que Béatrice aurait couché avec Élie, le père de Faustine, en plus d'avoir couché avec le père de l'auteur, puis avec l'auteur lui-même.

Non dénué d'humour et de paragraphes bien plus appréciables que d'autres, "Le temps gagné" est tout de même une biographie à réserver aux inconditionnels de l'auteur, les autres risquant fort d'être déçus.

R.P.



07/04/2021
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