Contre-critique

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"Nu dans le jardin d'Eden" de H. Crews

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"Nu dans le jardin d'Éden" de Harry Crews.

 

"Prenez une grande ville, disons New York. Une femme peut se déshabiller et rester aussi nue qu'un bébé sur le trottoir sans que personne tourne la tête. Vous croyez ça ? Je vois bien que non. Il n'empêche que c'est vrai, ça m'est arrivé. Maintenant, mettez la même femme dans une cage, pas complètement nue, mais presque, et vous pourrez sentir le musc à des kilomètres à la ronde. ils arracheront la porte pour voir ça."

Jester est le chauffeur noir de Fat Man, un riche propriétaire pesant plus de deux cents kilos, et mené à la baguette par Dolly, jeune femme attirante et ambitieuse qui a conservé sa virginité. Autour de ses trois personnages gravitent quelques autres, mais tous demeurent à Garden Hills, comme pris au piège de leur condition, Dans un royaume qui peu à peu se transforme en zoo humain.

Harry Crews est très fier de son roman, le considérant comme son meilleur, et c'est vrai que le récit est ambitieux. Il crée une passerelle avec la religion, comme une relecture de la chute de Jésus. Attention spoil : on y trouve un tout puissant Jack O'Boylan, qui a légué son pouvoir - sa richesse - à Fat Man, tel un représentant de Dieu (son professeur dira d'ailleurs de lui : "Platon affirme que vous, Mayhugh Aaron, n'êtes qu'une idée dans l'esprit de Dieu !"), représentant qui se verra trahi par ses proches - des employés - qui seront onze, comme dans la Scène, à le mettre en cage lors du repas final. On peut également voir son dernier trajet pieds-nu et ensanglanté, portant sa croix en lui-même, son corps obèse, jusqu'à une porte rouge marquée d'une croix jaune. Bref autant d'indice pour ouvrir l'histoire et la comparer à la grande.

Mais on peut également voir le récit comme une vulgaire histoire de personnages malheureux et qui n'obtiennent pas ce qu'ils désirent, des marginaux qui tentent de survivre à leur condition. Et l'histoire en sera tout aussi réussie et agréable à suivre.

"Tout était très clair, absolument clair. Un coureur de fond ne pouvait entretenir de but plus honorable que de désirer courir sans arrêt. Fat Man pouvait le comprendre. Lui-même n'avait jamais eu d'autre désir que de se fourrer l'extérieur dans l'intérieur, de se mettre le monde dans l'estomac."

L'écriture de Harry Crews passe facilement du temps présent au passé des personnages et à ce qui leur est arrivé auparavant et c'est parfois déstabilisant, mais elle possède la force de nous raconter des choses avec force et des mots capables de susciter l'imagerie. C'est donc un roman visuel, assez proche de l'univers cinématographique. On découvre un monde original, déconcertant, parfois grotesque mais jamais ridicule. Et les personnages sont touchant dans leurs failles. Loin d'être des héros, ils sont des ratés.

Dès le premier chapitre, l'histoire du jockey Jester qui pense gagner la course et son cheval exécute un crash s'avère mémorable. L'énorme Fat Man qui a besoin d'un assistant, incapable même de s'habiller seul tant il est gros et ne pensant qu'à manger est incroyable. Tout comme Dolly, qui va s'acharner (dans une séquence) à faire bander Fat Man alors que ce dernier ne rêve que de son coureur de fond, totalement insensible au charme féminin est vraiment réussi.

Récit décalé, bourré de marginaux, plein de vie et de rêves impossibles, à recommander aux adeptes des histoires qui sortent des sentiers battus.

R.P.



28/09/2016
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